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Au tournant suivant, tout le monde se sépara pour trouver une sortie. La première porte que j’ouvris donnait sur une longue pièce étroite remplie de bureaux. Aucune sortie en vue.
De nouveau dans le couloir, j’entendis des voix mais elles étaient lointaines. Ils fouillaient les pièces qui étaient près de l’entrée en partant du principe que nous avions pénétré dans la première que nous avions trouvée.
Je me dépêchai d’aller jusqu’à la porte suivante, et aperçus à ce moment-là une silhouette dans la pièce d’en face. Je m’arrêtai net, mais il était trop tard. J’étais complètement visible.
Alors que j’essayais de calmer les battements de mon cœur, je me rendis compte que l’homme me tournait le dos. Il portait un jean et une chemise à carreaux, avait la même taille que l’homme au pistolet et les mêmes cheveux bruns. Je ne me rappelais pas la chemise, mais il portait une veste quand je l’avais vu un peu plus tôt.
Il se tenait sur une plate-forme surélevée, agrippé à la balustrade, les yeux rivés sur une grosse scie industrielle en contrebas. Il avait l’air absorbé par ce qui avait attiré son attention.
Je fis un pas en avant avec prudence. L’homme bougea et je me figeai, mais il sembla seulement changer de position. Je levai le pied, et il fit de même, le posant sur la barre inférieure de la balustrade.
Il y grimpa et resta accroupi, les mains agrippées à la barre. Quelque chose bougea en dessous, et mes yeux se posèrent sur la scie. Les lames tournaient, tournoyaient si vite que la lueur d’une lointaine lumière de sécurité s’y reflétait comme un stroboscope. Mais elles ne faisaient aucun bruit, pas même un petit vrombissement.
L’homme testa son équilibre sur la balustrade. Soudain, il plongea en avant. Je le vis toucher les lames, les premières éclaboussures de sang, et je reculai jusqu’au mur en portant une main à ma bouche, mais pas avant d’avoir laissé échapper la première note d’un cri.
Quelque chose, un morceau, gicla et vint s’écraser dans l’embrasure de la porte avec un « flac ». Je détournai les yeux avant de voir de quoi il s’agissait et reculai en trébuchant. J’entendis quelqu’un arriver au pas de course derrière moi.
Il m’attrapa. Je reconnus la voix de Simon dans mon oreille.
— Chloé ?
— Il y av-vait un homme. Il… (Je serrai les poings et essayai de chasser l’image.) Un fantôme. Un homme. Il a s-sauté sur une scie.
Simon m’attira à lui, mit la main derrière ma tête et me poussa doucement contre son torse. Je sentis sur lui une odeur d’adoucissant à la vanille, avec une pointe de transpiration, que je trouvai étrangement réconfortante. Je restai comme ça un moment et repris mon souffle.
Derek arriva ensuite à toute allure.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Un fantôme, répondis-je en m’éloignant de Simon. Je suis désolée.
— Quelqu’un a entendu. On doit y aller.
Je me retournai et vis de nouveau le fantôme, debout sur la plate-forme. Derek suivit mon regard. Le fantôme se tenait exactement dans la même position, agrippé à la balustrade. Puis il leva le pied.
— Ç-ça se répète. Ça tourne en boucle. (Je me secouai.) Peu importe. Il faut…
— Qu’on y aille, dit Derek en me poussant. Bouge !
Je les suivis le long du couloir, quand j’entendis Rae laisser échapper un sifflement perçant.
— J’avais pas dit doucement ? souffla Derek tout bas.
On tourna dans un couloir pour rejoindre Rae, qui se tenait devant une porte sur laquelle était écrit « SORTIE ». Elle posa la main sur la poignée.
— Attends !
Derek passa devant elle et poussa la porte ; il écouta et flaira avant de l’ouvrir en grand.
— Vous voyez l’entrepôt là-bas ?
— Tu veux dire, celui qui est à un kilomètre, tout au fond ? répondit Rae.
— Quatre cents mètres, maximum. Allez-y maintenant. On reste juste derrière v… (Il leva la tête en entendant quelque chose.) Ils arrivent. Ils ont entendu le sifflement. Allez-y tous les trois. Je vais faire diversion, et je vous rejoins après.
— Nan, nan, fit Simon. Je reste pour t’aider. Chloé, prends Rae avec toi et cours.
Derek ouvrit la bouche pour discuter, mais Simon l’interrompit.
— Tu veux une diversion ? (Il prononça quelques mots à voix basse, fit un geste de la main, et du brouillard se leva.) J’ai ce qu’il te faut. (Il se tourna vers moi.) Allez-y. On arrive.
Je voulais protester, mais encore une fois, je ne pouvais rien dire. Comme je venais de le prouver, mes pouvoirs gênaient plus qu’ils n’aidaient.
Rae était déjà à cinq mètres de la porte et se dandinait sur place comme un boxeur en me faisant signe de me dépêcher.
Je me retournai pour la suivre, mais Derek s’approcha de moi.
— Va dans l’entrepôt et n’en sors pas. Pendant une heure, ne regarde même pas dehors. Si d’ici là on n’est pas encore arrivés, trouve un endroit pour te planquer. On viendra te chercher.
Simon hocha la tête.
— Tu peux compter sur nous.
— Ne reste pas dans l’entrepôt si tu es en danger, mais on dit que c’est notre point de rendez-vous. Reviens pour vérifier. Si tu ne peux pas y rester, trouve un moyen de nous laisser un message. On vous retrouvera là-bas. D’accord ?
Je hochai la tête.
— Ils doivent être par ici, fit une voix. Cherchez dans toutes les pièces.
Derek me poussa par la porte.
Simon se pencha et me dit : « À très bientôt ! », pouces levés, puis se tourna vers Derek.
— Que le spectacle commence…
Je me mis à courir.